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MAX DUBAGNE
MAX DUBAGNE
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14 décembre 2005

8. La méthode Mahlaut

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Sélène n’avait pas eu vent de ce rendez-vous. Moins cruelle qu'elle n'en avait l'air, elle veillait à ce qu’Ephraïm puisse avoir son content de satisfactions, pour l’aider à oublier sa jardinière. Et elle avait trouvé un biais.

-Puisque papa aime tellement les fêtes conventionnelles, pourquoi tu ne te fiances pas Alpherg ?

-Moi ?!

Ben-oui, lui, qui d’autre ? Le mariage, Sélène le gardait pour le moment ultime, quand son père, qui commençait à avoir une mauvaise toux, finirait par cracher ses poumons et son âme.

Pssst; trouvez pas qu’il a un faux-air de John Travolta, Alpherg ?

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-Ben-oui, toi ! T’avais bien une idée en tête, quand t’as fait emménager Marie Noëlle.

-Oh, mais je sais pas si elle serait d’accord. Je veux pas d’histoires, moi !

-T’as un bon moyen de le savoir, lui a fait judicieusement remarquer Sélène.

-Ah-oui ? Et lequel ?

-T’as qu’à lui poser la question !

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Alpherg a promis d’y réfléchir. Le soir, sur l’oreiller, il a tâté le terrain.

-Marie-Noëlle, je sais bien que c’est du dernier ringard, mais… ça te dirait qu’on se fiance ?

Elle lui a éclaté de rire au nez.

-Pourquoi tu me demandes ça ? Je suis une femme libérée, moi ! Pas question de me laisser mettre la bague au doigt. A moins… s’est-elle ravisée soudain.

-A moins ???

-A moins, qu’elle vaille le coup, la bague ! Si tu me promets qu’elle fera pâlir toutes les copines de jalousie, je me laisserais peut-être tenter. Mais… que ce soit bien entendu, ça ne m’engagera à rien.

Eh-ben, au moins les choses sont claires : elle veut bien accepter le bijou, mais pour ce qui est des valeurs associées… ce sera une parodie de fiançailles.

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Le lendemain, Alpherg lui a présenté le plus gros diamant du marché.
C’est plus Travolta qu’il me rappelle, c’est Richard Burton.
Marché conclu. Il a pesé lourd dans la balance, n’empêche, le diamant.

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Nathel a tout de mêsme fini par le décrocher, son premier 20/20.

Il en aura passé du temps à se gratter la tête sur ses devoirs. Mais grâce à la voiture d’Alpherg, il n’a jamais manqué l’école. Même s’il lui est parfois arrivé d’y aller avec une demi-heure de retard. Je vais finir par penser que c’était pas à fonds perdus, cette voiture. Y a des avantages, c’est certain. D’ailleurs, de la voiture d’Alpherg, c’est devenu la voiture familiale. Tout le monde l’emprunte à tour de rôle. Faudra peut-être qu’ils pensent un de ces jours à en acheter une moins… enfin, vous voyez ce que je veux dire. Je suis pas bégueule, mais tant qu'à faire... celle-là, c’est vraiment la honte !

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Si je vous dis 22 ? Vous me répondez ????

-V’là les flics !

Pfeuh, je vois pas le rapport !

Non, 22, c’est le nombre de meilleurs amis de Mahlaut. Ah, elle peut se la péter, elle la soigne sa popularité. C’est bien simple, elle ne fait que ça ! Le téléphone, c’est son outil de travail, l’énergiseur son carburant. Toute la sainte journée, elle relance ses amis, et quand elle a un moment creux, elle soigne ses relations familiales.

C’est elle qui a aidé Nathel à faire ses devoirs, c’est elle qui se bat avec la nounou pour changer les couches de Zosma. C’est elle encore, qui sait distribuer des compliments aux parents, sans lésiner sur la quantité, comme les pubs dans la boîte aux lettres. Tu m’étonnes qu’elle monte sa cote !

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J’irai pas jusqu’à dire qu’elle est toujours sincère, parfois, le soir, il lui arrive de craquer.

-J’en ai MARRE d’être sympa avec tout le monde ! Ah, vivement que je termine mon rêve et que j’en finisse avec ce cauchemar. Ce jour-là, je leur sortirai enfin leurs quatre vérités, et je peux dire que ça va saigner !

00mFaut pas lui jeter la pierre trop vite. C’est pas facile de soigner sa popularité, croyez-moi. C’est presque un métier qui demande de l’organisation. Mais Mahlaut, c’est la reine de l’organisation. A 7 heures pétantes, elle consulte son agenda, et elle commence sa dure journée.

-Hummm, voyons-voir, on en est où dans les niveaux ? A 55 ça craint. Haute priorité, les appeler avant qu’ils me rappellent à l’ordre. Après, faut joindre les injoignables : enfants et ados townies, toujours à l’école et toujours pressés de rentrer chez eux après. La première corvée épuisée, un peu de détente en prenant des nouvelles de mes filles à l’université, et puis… juste un break pour le déjeuner, un petit détour aux toilettes et je m’y recolle. Reste les fainéants, ceux qu’ont pas de job, toujours prêts à papoter et les NPC, qui valent pas mieux. Ouf, j’ai épuisé le répertoire.

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Ah, c’est pas le tout, maintenant, faut recevoir les amis, ceux qui se tâtent encore pour savoir si je suis vraiment leur meilleure, meilleure-amie. Mais quand ils hésitent de trop, au-delà de 100 points de relations, moi je les renvoie dans leur foyer. Je leur donnerai de mes nouvelles régulièrement, histoire de faire grimper la cote journalière.

Qu’est-ce qui me reste à faire maintenant ? Des nouvelles rencontres. Ben tiens donc ! Et où je vais les faire ces rencontres, si c’est pas en ville ? Allez, un petit coup de parfum, ça les attire. Enfin, pas ceux qui y sont allergiques, mais c’est pas la majorité.

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Et c’est comme ça, qu’après sa journée bien remplie, Mahlaut prend le volant de la voiture pour aller en repérage. Aujourd’hui, elle a donné rendez-vous à Luc, un ex-petit ami de Zaniath, qui se la joue cool avec ses tresses et son pétard. Où elle va bien pouvoir l’emmener ? C’est pas le genre resto chicos, plutôt celui de la cafète. Mahlaut sait se montrer psychologue. En route pour la cafétéria des années 50.

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Elle a mis en plein dans le mille. Ca lui plaît beaucoup au beatnik, la cafétéria.

-Ouuuais, c’est super, dis-moi. Tu crois qu’on peut faire des photos délire? J’aimerais bien garder un souvenir de la soirée.

Mahlaut, elle est comme moi, elle en sait rien. Mais elle se laisse pas démonter.

-Bien sûr qu’on peut ! Et puis on pourra danser aussi, si tu veux, doit bien y avoir un juke-box, ça se faisait beaucoup dans ces années là.

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Y avait tout ce dont ils rêvaient, et même un billard. Ils ont dansé un slow devant le juke-box. Le type était plutôt content, il trouvait que le rendez-vous était top. Il regrettait pas trop de se montrer avec une vieille. Du moment qu’elle rechignait pas à payer… Mais surtout, je suis pas trop sûr qu’il avait les yeux en face des trous. Me semblait planer à mille lieues.

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Ils ont dîné en amoureux. Mahlaut a commandé des homards. C’est pas tous les jours qu’il pouvait en manger des homards, le beatnik. Il a sucé les pinces en se pourléchant. Et il n’oubliait pas de s’arroser le gosier de vin blanc entre deux bouchées. Pendant ce temps là, le score grimpait. Il était pas loin de penser que ce rendez-vous était… paradisiaque.

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Mais l'a fallu que la mère Ladentelle rapplique, fesses serrées et bouche pincée, pour faire la morale à Mahlaut.
-C’est pas une honte, à votre âge, de vous afficher avec un jeune ? Ca s’appelle un détournement de mineur, ça madame. Et vous savez ce qu’on leur fait aux détourneurs dans cette ville ? On les met en tôle, pour leur apprendre le savoir-vivre.
-Hé, la vieille, t’est toc-toc, ou quoi ? Lui a répondu Mahlaut en se vrillant l’index sur la tempe. Où t’as vu jouer qu’il était mineur ? C’est un adulte, aussi vrai que je m’appelle Mahlaut.
L’adulte, qui se la jouait jeune, commençait à baliser. Manquerait plus que la vieille appelle la police. Il avait dans sa tabatière de quoi trembler dans ses chaussettes.
-Bon-ben, c’est pas que je m’ennuie, mais je crois bien qu’il est l’heure que je rentre. On se fait signe ? T’inquiète, c’était top ton rencard. J’en garderai un bon souvenir.
Plantée au milieu de la cafète, Mahlaut a vainement essayé de taper la discute avec le cuisinier. Mais elle en a profité pour marquer des points avec quelques habitués. De futurs meilleurs amis, à n’en pas douter.

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Avec tout ça, le temps passait. Zosma avait fini par grandir. Mahlaut en profita pour s’en faire une grande amie en lui apprenant à marcher. Sélène se chargea du bla-bla, et Samson du pot, comme il se doit. Je l’avais bien dit que ce serait une pure merveille, celle-ci encore.Pour l’avenir, je pouvais dormir sur mes conduits auditifs. Je parle plus de mes oreilles, elles sont devenues diaphanes, comme le reste de mon corps d’ailleurs, j’ai l’impression de devenir un peu plus transparent au fil du temps. A la fin du challenge, on me verra plus. M’enfin, transparent ou pas, pour le moment, je suis encore là !

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Qu’est-ce qu’il fallait pas faire pour maintenir Ephraïm en platine.

Sélène avait tenu sa promesse, à l’aurore de ses 80 ans, elle s’était passé la corde au cou en épousant Samson. Elle aurait pu tomber sur pire, remarquez bien. Mais c’est qu’il s’accrochait aux branches, le vieux, et il avait pas encore décidé de tirer sa révérence.

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Pour la première fois dans la famille Dubagne, on a eu un vrai retraité. C’est vrai qu’à 80 ans, Ephraïm pouvait pas se voir reprocher d’avoir coûté à la sécu. Et puisqu’il voulait prendre sa retraite… qu’il peigne donc deux/trois chefs d’œuvres, histoire de contenter Mahlaut de manière posthume, et qu’il arrête de geindre et de tousser comme un perdu.

S’il avait eu la mauvaise idée de claboter au boulot, ç’eut été bien la peine de céder à tous ses caprices depuis quelques années.

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Pour rester en forme, il avait ses petites recettes.

Non, il avait pas rompu avec Emilie comme l’exigeait sa fille. Il la voyait plus que jamais. Le matin, il faisait les cent pas dans la cuisine en attendant l’heure bénie où la maison se viderait de ses habitants pour lui demander de le rejoindre.

Mahlaut était dans la confidence, et elle s’en moquait pas mal des frasques du pépé.

Elle devait bien avouer qu’elle même… sans aller jusqu’à l’extrême, était bien contrainte quelquefois de flirter outrageusement pour affermir ses relations. Elle traînait comme ça derrière elle deux/trois cœurs d’entichés légers.

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Nathel avait soif de connaissances. Depuis qu’il avait ramené son 20/20 il n’entendait plus se laisser placer au fond de la classe avec les cancres. Il s’apprêtait donc à étudier le nettoyage, quand il ressentit des picotements dans les jambes. Il était temps pour lui de grandir.

Tout le monde voulut le féliciter, et Emilie, qui aurait eu tout intérêt à faire oublier qu’elle s’était endormie dans le lit d’Ephraïm, au lieu de disparaître comme d’habitude avant l’arrivée de Sélène, était aux premières loges. Tout le monde applaudit quand il annonça qu’il voulait se consacrer à la connaissance, comme ses parents.

Brave garçon ! Enfin, un qui renouait avec la tradition familiale.

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Mais… la présence d’Emilie n’avait pas échappée à Sélène. Je disais bien qu’elle aurait eu intérêt à se faire oublier. Quand elle voulut partir en catimini, Sélène lui a sauté dessus.

-Qu’est-ce que tu fais là ?! Je croyais t’avoir interdit de remettre les pieds à la maison.

-Je suis venue voir ton père, et lui apporter un bouquet de roses en souvenir de notre dernier rendez-vous.

Sélène fulminait. Elle était sur le point de lui dire où elle pouvait se mettre ses roses, quand elles entendirent de grands cris, venant de la salle de bain.

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Craignant le pire, et n’ayant cure des mises en garde, Emilie se précipita, Sélène sur ses talons. La mort était déjà en train de servir le cocktail qui tue. Ephraïm n’offrit aucune résistance. Sourire aux lèvres et l’air béat, l’ancêtre a fait ses valises, à l’heure où il aurait dû fêter son 81ème anniversaire. Il s’en est allé bienheureux d’échapper à la scène où Sélène s’en prenait à Emilie.

-Tu vois ce que tu as fait ! Papa, c’était du bois de centenaire, mais avec toutes vos folies, il est mort à la fleur de l’âge.

Encore heureux ! Elle croyait tout de même pas qu’on allait encore passer 20 ans à le surveiller, comme le homard dans le four un jour de visite du directeur.

600

Je suis jaloux !

Non-mais, visez un peu la tombe d’Ephraïm. C’est en la voyant, que j’ai réalisé que j’avais été truandé par les marbriers de Vipercanyon. On m’avait assuré qu’y avait pas mieux comme stèle, que c’était ça, une tombe en or. On m’avait pris pour un pigeon, oui ! Parce-que faut pas croire qu’elle coûtait plus cher, celle-là. Normalement j’y avais droit, mais les Pompes Funèbres ont préféré mettre la différence dans leur poche.

Je suis véreux ! Et dans tous les sens du terme.

Ennnfin, faut bien que je me résigne à le voir jouer les vedettes du cimetière. Surtout avec le gros bouquet de roses rouges que lui a offert Emilie. Sélène voulait le mettre aux ordures, mais elle s’est laissée convaincre de n’en rien faire. Tout le monde lui assurait qu’Ephraïm lui en voudrait à mort.

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