49 : Changement d'herbage
Heureux ! Ca vous en bouche un coin, avouez ! Ben-oui, je suis heureux, parce que je vais aller respirer l’air frais du campus avec ma petite héritière. Faut-il que je me fasse suer ici pour espérer m’amuser là-bas.
Depuis qu’Ophélia a ratissé toutes les bourses qu’elle voulait, elle ne parle plus que de l’université.
- Tu comprends, a-t-elle confié à sa cousine, je vais enfin voir autre chose qu’un cimetière rempli de fantômes. Je vais voir des JEUNES ! Ici, ça pue le rance, le vieux, le renfermé, et elle a oublié : le fromage fondu.
- Rho, t’as trop de veine ! lui a répondu Fawsia. Je partirais bien avec toi. Ca doit être cool l’université, au moins tu vas pouvoir t’amuser.
- J’y vais surtout pour décrocher mon diplôme, et j’ai intérêt à bosser, si j’ai les félicitations du doyen pendant quatre ans, je rapporterai encore des points pour le challenge.
- Qu’est ce que t’en as à battre du challenge ? a répliqué Fawsia. On t’a demandé ton avis, à toi ? C’est pas ton challenge, même si les vieux nous serinent avec ça depuis qu’on est en âge de comprendre.
Mais j’ai toujours su qu’Ophélia était une bonne petite. Elle s’est pas laissée détourner du droit chemin. Enfin, quand je dis le droit chemin… avec tous ces chemins de traverse qui viennent se greffer dessus. Mais, même complètement tordu, y a le chemin et faut qu’elle le suive. On s’est quand même pas cassé le tronc depuis 7 générations pour la voir épouser son Aurélien, nous pondre dix marmots vite-fait et prier le ciel qu’ils grandissent vite pour en finir. Y a encore des points à ratisser. Que moi, je puisse plus supporter ce challenge, depuis des siècles qu’il se traîne : Normal. Mais elle ? Elle a l’enthousiasme et les illusions de la jeunesse. Elle en veut !
- T’oublies que mon père, est mort pour ce challenge. Il avait fondé une association d’étudiants. Je me dois d’y aller en mémoire de lui.
On peut pas dire que Fawsia se soit montrée très encourageante :
- Tu rêves, ma petite ! Tu vas te retrouver dans un dortoir avec une flopée d’étudiants que tu connaîtras pas. Comment tu ferais pour rejoindre l’association ? Encore, quand y avait Farhid. Mais les autres, tu les connais même pas !
- FAUX ! Je connais Phyllis ! a triomphé Ophelia.
- Tu la connais si peu, c’est même pas la peine d’en parler. Si tu te figures qu’elle va te demander d’emménager juste parce que t’es la fille de ton père.
- Elle va me demander d’emménager, parce que je vais tout faire pour être sa meilleure amie. Pourquoi tu crois que je lui téléphone presque tous les jours pour lui demander comment elle va ? Et puis y a nos oncles Zeneb et Kaphir. Ils pourront pas refuser de me prendre, je suis de la famille, et c’est quand même moi l’héritière ! En plus, je serai pas toute seule dans le dortoir, Aurélien va m’accompagner et aussi notre cousin Cédric.
QUOI ?!!! Il va y être aussi, Cédric ?! Oooh, que j’aime pas ça, que j’aime pas ça ! Pourvu que son Aurélien la lâche pas d’une semelle, qu’elle se remette pas à fantasmer sur le cousin. A bien y réfléchir, ça va peut-être pas être qu’une partie de plaisir, là-bas. Va aussi falloir veiller au grain. Et puis l’autre danger, c’est Kaphir, avec son aspiration à l’amour exécrable. J’espère qu’il aura pas des vues sur la petite. Quoique… je me torture pour rien là. Même s’il voulait, faudrait la payer cher pour qu’elle s’embarque dans une aventure avec une horreur pareille. Ca fait un bout que je l’ai pas vu, mais dans mes souvenirs, c’était pas un profil de médaille qu’il avait.
Enfin, moi, je vis plus là. Oui-bon, c’est juste question de parler. Je suis sur les chardons ardents. Qu’est ce qu’elle attend pour y aller à l’université ? Que je me glisse dans le taxi voir un peu d’où qu’ils en sont, tous autant qu’ils sont.
Enfin, enfin, elle s’est décidée à appeler un taxi. J’ai jeté sur la maison un œil de proprio sur le point de profiter de ses congés payés, voir si tout était en ordre avant de partir et c’est là que j’ai entendu Eliah annoncer qu’elle attendait un nouvel héritier. Enfin, héritier, c’est juste une expression. L’héritière, c’est Ophelia et y a pas à y revenir. C’est quand même pas tous les jours qu’on distribue des bourses aux orphelins. Quand on a cette chance là…nan, je dis pas que c’est une veine d’être orphelin -encore que… des fois… je dis simplement : puisqu’on touche la bourse, ça serait bête de la laisser perdre.
Avant de m’engouffrer dans le taxi, J’ai encore eu le temps de saisir un genre d’altercation entre Eliah et Khali :
- Je sais pas encore si on va rester ici. Je me tâte pour déménager, disait Eliah et vous savez ce qu’elle lui a répondu, la belle en cuisses ?
-Et pourquoi tu déménagerais ? T’es pas bien ici, avec nous ? T’es servie comme une reine. Si tu pars, tu crois que c’est Elric qui te préparera tes repas ? Palmé comme il est !
- Les repas ! Parlons-en des repas ! Rien qu’à la vue de ces montagnes de sandwiches dégoulinants, j’ai le cœur qui se soulève. Et je te parle pas de l’odeur : C’est devenu irrespirable, c’est malsain pour les bébés.
Y a pas que pour les bébés, que c’est malsain, moi je vous le dis !
Je serais bien resté un petit chouilla, juste pour être fixé : Elle part ou elle part pas ? Mais si je voulais pas y aller à pinces, j’avais intérêt à me couler dans le taxi. C’est pas que je puisse pas m’y transporter, mais c’est pus agréable de profiter de la compagnie quand y en a.
L’université, ça leur fait un effet magique, aux jeunes. A peine débarqués, ils se sentent quasiment adultes. Ophelia n’a pas fait exception. Elle a débarqué devant une résidence où d’autres jeunots faisaient le pied de grue en attendant l’ouverture pour pouvoir se ruer dans leur piaule.
Ophelia a eu comme un choc en croyant reconnaître Luz. Mais à y regarder de plus près, c’était pas notre Luz, mais une autre graine d’extra-terrestre plutôt belle plante, un peu surprise de s’entendre interpeller - Luz ! Qu’est ce que tu fais ici ? J’ai eu un peu de mal à reconnaître Aurélien Vasseur sans sa casquette. D’ailleurs, ça lui a valu d’avoir les cheveux tout raplapla, et donc à nous, d’avoir un aperçu de ce qu’il donnerait, le matin au saut du lit. Ben-oui, y a pas que les femmes qui vous réservent des surprises avant le ravalement de façade dans la salle de bain. J’en connais des qui, sans leur moumoute et leur dentier… mais je m’égare, là. Il a pas de moumoute, Aurélien, même si, vu de loin, ça y ressemble. Enfin, ravalé ou pas, il plaît toujours à Ophelie, et ça, c’est le principal. C’est avec un immense plaisir que j’ai pu constater que leurs cœurs battaient toujours à l’unisson. Parce que le danger, il était là aussi, le danger : Cédric Marquès, le trop beau cousin. Ca c’est une petite gueule qui m’aurait plu dans mon arbre généalogique. Mais-nan, pas question. Non seulement, il est déjà de la famille par alliance, mais surtout, il fait pas partie des employés grassement payés directos par nos impôts. J’ai dû user de mon influence pour arracher Ophelia à la joie des retrouvailles. S’agissait pas qu’elle se retrouve casée à perpette des toilettes et de la salle de douches. Nan-mais, faut pas plaisanter avec ça. C’est trèèès important le choix de la chambre dans une résidence universitaire. Déjà que c’est crevant la vie d’étudiant… Ben-si, une à deux heures de cours par jour, vous rendez pas compte ! Si en plus, ils sont obligés de s’user la santé pour aller pisser. Ophelia c’est pas le genre à perdre son temps. Sitôt rafraîchie de son voyage, elle s’est vissé le casque pensant pour compléter ses barres de compétences. Mais avant… un petit coup de fil à Phyllis pour lui dire qu’elle était bien arrivée. Quoiqu’en dise Fawsia, les relations entre les deux cousines sont plutôt bonnes, elles sont peut-être pas les meilleures amies du monde, mais Phyllis est sensible à ces petites marques d’attention pas dénuées d’intéressement, je dois dire. Bon, ça va. Elle a pas mordu à l’hameçon. Elle s’est contentée de se livrer à la version estudiantine de la danse du scalp des gamins à leur premier 20/20 : les encouragements de l’école. Si tu prétends être introduit dans la cour des grands, t’as plutôt intérêt à être au parfum question chorégraphie et connaître les paroles par cœur. Heureusement, Phyllis avait fait le mot à Ophelia et Cédric pourra lui dire un grand merci pour lui avoir donné le sésame. Ils aura pas l’air plus bête que les autres. Pas moins non plus, d’ailleurs. Tiens, regardez-moi un peu celui-là, s’il a l’air fin. William Perrot, qu’il s’appelle. Il promène sa tête de mime Marceau à longueur de couloirs. M’a pas l’air motivé-motivé pour les études. M’étonnerait qu’il fasse long feu dans le coin. Et celui-là : Rémy Lendro. Ca fait une éternité qu’il est inscrit en première année. Visez le niveau ! Il en est encore à lire les histoires du petit ours brun. L’est pas prêt de sortir diplômé avec les encouragements du doyen. Un qui est bien motivé, par contre, c’est Aurélien. Il s’est jeté sur l’ordinateur pour rédiger une dissertation. Faut dire qu’il s’est inscrit en biologie, c’est pas ce que y a de plus facile, d’après ce qu’on dit. Aurélien, il aspire à la connaissance, ça pouvait pas mieux tomber. J’espère bien qu’il changera jamais d’idée et qu’il continuera à faire des grands projets d’avenir avec Ophelia. C’est pas qu’il soit vraiment magnifique, mais bon, c’est un NPC, et quand t’as dit ça, t’as tout dit ! Fin bref, tout ce qui comptait, c’était que tout le monde finisse par voir le bout du premier semestre sans redoubler. Parce que quatre ans d’études et –si ma mémoire me joue pas des tours- deux semestres par année, c’est déjà suffisamment long pour pas se permettre d’en rajouter. C’est comme pour le foot, tu crois que c’est fini, tu commences à respirer, ben-nan, c’est les prolongations ! Allez, 20/20 et les encouragements du doyen pour tout le monde, sauf pour le mime Marceau. Mais celui-là, avec son aspiration ruineuse au plaisir, on se demande bien ce qu’il fout à l’université. Hé-mec ! Pour se distraire, vaut mieux habiter au centre ville. Ophelia fait un peu la gueule. Elle trouve qu’Aurélien la délaisse, qu’il passe tout son temps à faire des recherches, quand c’est pas des dissertations, et qu’ils prennent plus le temps de se parler. Elle, elle a choisi la filière littéraire, apparemment, c’est la planque. Pour lui prouver sa bonne foi, il l’a demandée en fiançailles le lendemain, après avoir rédigé sa disserte, juste quand elle commençait à désespérer. Aussitôt, Ophelia s’est ruée sur le téléphone pour en informer Phyllis.
- Luz ?? Moi, je m’appelle Olga Teury. C’est bien la première fois qu’on me confond avec quelqu’un d’autre. Qui est Luz ? Vous pensez que je lui ressemble vraiment ?
Ophelia lui a résumé toute l’histoire en quelques mots.
- Luz, c’est une cousine éloignée. Son père s’était fait enlever par des extra-terrestres et…
- Pas croyable ! Tout comme le mien ! Je désespérais d’être un cas unique. Tu me la présenteras ? Je serais si contente de pouvoir parler avec elle. J’aurais une tonne de questions à lui poser.
Ophelia promit qu’elle y penserait.
Y avait encore d’autres arrivants, mais je me faisais pas de soucis, on aurait le temps d’apprendre à les connaître. Quand tu mets un pied à l’université, t’es pas prêt de revoir le soleil de Vipercanyon.
- Ben alors, Ophelia, mon cœur, tu me connais plus ?
Qu’est ce qu’il vient nous la perturber, le Cédric ? J’aime pas beaucoup qu’il l’appelle « mon cœur ».
Sont quand même pas gâtés, les mecs chez les NPC, faut avouer. S’ils z’ont pas les lèvres en bordure de pot de chambre, z’ont de ces nez, je vous dis que ça : qu’à côté, celui de Cyrano, c’était de la gnognotte.
- M’enfin, Ophelia, mets-toi à ma place un peu. J’ai mes études et ma fierté. Déjà que vous êtes –et de loin- la famille la plus riche de Vipercanyon, tu voudrais quand même pas que je me contente d’un boulot de rat de laboratoire. Je t’épouserai pas avant d’avoir une situation et une bonne, tant qu’à faire.
Il a pas tort Aurélien, j’aime bien entendre ce genre de discours. Mais pas Ophelia.
- Tu prends même plus le temps de me dire que tu m’aimes. Si ça se trouve, quand t’auras terminé tes études, tu penseras même plus au mariage.
- Quand vas-tu te décider à venir nous rendre visite ? Lui a demandé sa cousine. Tu pourrais nous présenter ton fiancé. Et puis, tu sais, on se demandait ce que t’attendais pour rejoindre l’association. T’as bien l’intention d’y rentrer ?
- J’osais pas te le demander, t’aurais pu penser que mes coups de fil étaient intéressés.
- Meuh-nan ! Qu’est ce que tu vas chercher là ? C’est normal que t’y penses, c’est ton père qui l’a fondée quand même, cette association. Alors, tu te décides ?
Ophelia lui a répondu qu’elle terminerait sa première année et qu’après, promis-juré, elle entreprendrait les démarches.
Moi, cette année avec ma petite héritière m’aura été bénéfique. Je vais faire un tour à la maison, histoire de raconter tout ça à ma Jeanne et je reviens voir ce qu’il en est. J’ai hâte de voir si Zeneb a avancé dans son histoire de rendez-vous paradisiaques. C’est qu’il est en dernière année, faudrait qu’il y songe sérieusement.